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Santino Wars
25 août 2010

World at War ( LnL )

Walking in self conceit

World_at_War

Tout a plutôt bien commencé pour cette série tactique nous projetant dans l'une des uchronies les plus traitées de l'histoire du wargame : l'affrontement Est-Ouest en Europe au milieu des années 80. Même si le Pacte de Varsovie est bel et bien enterré, force est de constater que la thématique n'a pas complètement perdu son charme. Qui ne s'est jamais demandé ce qu'aurait militairement donné une telle empoignade, du moins avant que les bombes atomiques ne viennent probablement mettre tout le monde d'accord ? Simple et accrocheur, World at War propose des parties rapides et agréables... à condition toutefois de mettre des oeillères pour éviter une histoire ridicule et un désagréable relent de fatuité.

Un matériel qui donne envie

S'il faut commencer par quelques louages, c'est certainement au graphiste de la série qu'elle reviennent. Olivier Revenu, maître d'orchestre de la superbe revue Battles Magazine ( cf liens du blog ), nous livre ici un travail coloré et de bon goût. Les pions accrochent particulièrement l'attention, le nombre important d'indications portées ne les empêchant pas de rester attractifs. Sans doute les silhouettes de véhicules finement dessinées y sont-elles pour beaucoup, même si quelques esprits chagrins - dont je fais partie - regretteront que l'infanterie et les armes de soutien en soient restées aux classiques symboles OTAN. Les cartes sont elles aussi fort agréables, sans ambiguïtés - très important pour un jeu tactique ! - et montées sur un carton des plus solides, une louable habitude qui semble revenir lentement dans le monde du wargame. Aides de jeu et marqueurs colorés complètent harmonieusement un ensemble qui incite au jeu.

Du côté de l'éditeur, signalons quelques désagréments agaçants. Un problème d'impression décalée des pions a frappé les premières boîtes du jeu de base, mais semble désormais réglé. Les dés fournis avec mon exemplaire ont quant à eux terminé dans une poubelle et donné lieu à un remplacement de bon aloi. Surtout, la carte de l'extension Death of the 1st Panzer est non seulement en carton fin, mais rien moins qu'imprimée au dos de la couverture... vu le prix de l'ensemble et le faible nombre de pions fournis par ailleurs, on peut se demander si on ne se moquerait pas un peu de nous. Soulignons toutefois que l'opus suivant, Blood and Bridges, est une grosse boîte bien remplie qui élève les standards de la série. Dernier point, la rédaction des règles dans la boîte de base n'est pas spécialement un modèle de clarté, mais on s'y fait au bout de quelques lectures.

Reste l'un des attraits non négligeables de World at War : son statut de série. Au fil des parutions, les joueurs se voient ainsi proposer un panel toujours plus large de nations et de matériels des années 80, le tout mis en scène dans des dizaines de missions variées. Les opus parus ou annoncés à ce jour sont les suivants :

- Eisenbach Gap ( paru ) : l'offensive des troupes soviétiques sur la trouée d'Einsenbach défendue par les troupes américaines ( 1 grande carte montée, 128 pions et marqueurs, règles et aides de jeu, 6 scénarios )
- Death of the 1st Panzer ( paru ) : l'entrée en scène des troupes de la RFA ( 1 carte non montée, 40 pions, 6 scénarios )
- Gamer's guide ( paru ) : notes de conceptions, parties commentées, conseils tactiques ( 1 livret de 40 pages )
- Blood and Bridges ( paru ) : les divisions soviétiques arrivent sur le Rhin où elles se heurtent à l'armé britannique ( 1 grande carte montée, 264 pions, 12 scénarios, règles révisées )
- Operation Garbo ( à paraître ) : l'agression de la Suède par les hordes rouges ( 2 cartes montées, 176 pions, 6 scénarios )
- The Untold Stories ( à paraître ) : la guerre des alliés avec l'inclusion des unités est-allemandes, polonaises, canadiennes, hollandaises et belges ( 3 cartes montées, 528 pions, 12 scénarios )
- Battles within Battles ( à paraître ) : un recueil de scénarios agrémenté d'une campagne dynamique ( 1 carte montée, 14 scénarios, 1 campagne liée  )

- World at War Compedium ( paru ) : la compilation des 7 premiers titres de la revue Line of Fire ( voir ci-dessous ), du moins des contenus afférant à la série. En bonus, une fort instructive et atterrante chronologie annonçant le pire pour la suite.
- Paris is Burning ( à paraître ) : les Alliés en retraite vont devoir affronter un ennemi improbable, l'armée française... ( 2 cartes montées, 176 pions, règles spéciales et scénarios )

A noter aussi le suivi assidu du jeu dans la revue maison Line of Fire, dont chaque numéro propose son lot de mini-cartes, pions à monter et scénarios. Parue initialement en ligne, la revue fait désormais l'objet d'une édition papier à l'image de son homologue C3I ( GMT Games ).

Tactiques modernes sans prise de tête

Le propos de World at War est donc de nous entraîner dans la 3ème Guerre Mondiale à l'échelon tactique. Très exactement, un hexagone sur la carte couvre une distance réelle de 150m et une unité représente un peloton de 3-5 véhicules ou de 40 à 60 fantassins. On y retrouve sans surprise tout l'attirail des protagonistes de la Guerre Froide : chars de combat, véhicules de soutien ou d'infanterie, hélicoptères, etc. Les unités sont assez finement détaillées, portant des valeurs personnalisées de mouvement, protection et combat. Ces dernières sont déclinées en tir anti-char, tir anti-personnel et assaut rapproché. La plupart possèdent enfin une face réduite dont les valeurs sont ajustées en conséquence. Enfin, chaque unité se voit indiquée une formation de rattachement dans laquelle elle évoluera tout au long de la partie.

Le coeur du système est une classique activation par marqueurs. Chaque formation reçoit un ou deux pions d'activation mélangés dans un bol opaque et tirés au hasard. Lorsqu'une formation est activée, on vérifie que ses composantes sont à portée de commandement du pion QG. Celles qui se trouvent en dehors et ratant un test de cohésion ne peuvent agir. Deux pions "fin de tour" sont également ajoutés à la pioche, le tour en question s'arrêtant lorsque les deux ont été piochés, peu importe s'il reste encore des formations non activées dans le bol. On le voit, tout ceci est simple et rend les parties imprévisibles tout en donnant un avantage - trop ? - considérable aux meilleures formations. Alors réaliste ou non ? Les tenants du chaos censé régner sur les champs de bataille seront séduits. Ceux qui pensent que les unités les mieux loties en C3I ( Command, Control, Communication and Intelligence ) devraient forcément avoir l'ascendant regretteront les systèmes autrement plus raffinés d'un Tank Leader ou d'un Fire Team. On regrettera peut-être aussi l'impact parfois abusif des marqueurs "fin de tour" lorsque la pioche est peu fournie en formations. En revanche, quoi de plus abordable pour un joueur débutant ou occasionnel ?

Les autres règles sont tout à fait classiques pour un jeu à cette échelle, couvrant l'essentiel du combat tactique moderne. Missiles, frappes d'artillerie ou aériennes, armes chimiques ou guerre électronique sont bien de la partie et traités sans lourdeurs. Quant à la résolution des combats, elle fait appel à la bonne vieille technique du seau de dés : le tireur lance autant de dés qu'indiqué sur son pion et obtient une touche pour chaque résultat supérieur ou égal à sa valeur de combat. La cible peut alors lancer des dés de sauvegarde, chaque résultat égalant sa valeur de défense annulant une touche. Vous vous sentez sur un terrain familier ? Et pour cause : il s'agit purement et simplement d'une reprise de notre bon vieux Warhammer ( avec ou sans le 40K selon les goûts ). En même temps, cela fonctionne plutôt bien, et les plus rusés y verront un pont pour amener leur remuant bambin des coûteux champs de bataille du 41° Millénaire à leur table de wargame ! Divers modificateur viennent comme de juste nuancer tout cela, une unité touchée une première fois devenant neutralisée ( récupérable par un jet de cohésion ultérieur ), réduite au second coup, et finalement détruite au troisième. On pourra discuter du placement d'épaves de véhicules au vu de l'échelle de la carte, mais l'argument reste secondaire.

Deux véritables points noirs sont à relever à mon sens : l'absence de règles de détection et le traitement de l'infanterie. Pour le premier, il suffit d'avoir une ligne de vue sur sa cible pour l'allumer. Tout au plus une unité dite camouflée bénéficie-t-elle d'un bonus défensif. Vu l'échelle du jeu et l'importance de trouver le premier son adversaire dans un combat mécanisé, il semble qu'on touche là une lacune significative, quoique délibérée dans un souci de simplification. En ce qui concerne l'infanterie, elle se déplace exagérément vite pour, selon l'auteur, "rendre le vrai tempo des opérations combinées". Sans doute emporté par Warhammer 40K, ce dernier a peut-être oublié que les biffins des années 80 n'étaient pas des Space Marines en exo-armures et génétiquement modifiés (  encore que, après avoir lu la chronologie du conflit, on ne jure plus de rien... ). Le système de touches combiné à la taille importante des compartiments de combat délimités par la carte la rendent en outre fort vulnérable. Elle retrouve certes une partie de sa force grâce aux redoutables armes de soutien qu'elle peut porter ( les MILAN sont par exemple de vraies terreurs ) et à son efficacité en assaut, mais le rendu global de cette arme ne me satisfait pas vraiment en l'état.

Un loup-garou dans mon frigo !

Grand bien nous fasse, nul ne saura jamais comment se seraient comportés les soldats des deux camps si la Troisième Guerre Mondiale avait vraiment eu lieu. On peut néanmoins douter que l'auteur se soit vraiment posé cette question. Dans la lignée d'un Tom Clancy ( rappelez vous, la division blindée US qui met à genoux l'Armée Rouge a elle toute seule dans Red Storm Rising ), il ne doute pas un instant des merveilles qu'auraient accompli ses compatriotes face aux "Rouges", quitte à trafiquer quelque peu la réalité technique ou géographique pour appuyer la démonstration. N'est-il pas curieux par exemple de constater les performances inférieures du char allemand Leopard 2 par rapport au M1 américain ? Les compartiments de combat exagérément étendus par rapport à la réalité du paysage le sont-ils pour mieux mettre en scène la ruée fatale des chars soviétiques  face à la quincaillerie US ? La double activation de maintes unités alliées - pas seulement américaines il est vrai - n'est-elle pas un mécanisme fort exagéré vu son impact sur le jeu ( deux tirs, mouvements et ralliements pour un tir soviétiques, sans compter une moindre probabilité de ne pas être activé du tout ) ? A ce sujet, on remarquera qu'un jeu comme Across 5 Aprils est moins radical : si les formations sudistes y disposent également de deux marqueurs, elles ne sont activées qu'une seule fois, par un des deux marqueurs au choix du joueur. Ainsi les meilleures formations se voient-elles attribuées une plus grande souplesse tactique sans pour autant tomber dans l'excès. A essayer peut-être sur World at War... Tout cela étant dit, il existe certes une possibilité que je m'égare dans mon opinion : les matériels semblent globalement bien rendus, et peut-elle notre auteur ne sait-il tout simplement pas à quoi ressemblent les campagnes allemandes ( prions dans ce cas qu'il ait entendu parler du bocage pour son futur jeu sur la Normandie en 1944 ).
 
S'il est - hélas - une chose qu'il ne semble pas ignorer, c'est bien que le ridicule ne tue pas. Fort de cette providentielle immunité, il assène ce qui pourrait passer pour un coup fatal à la série, à savoir une chronologie encore plus fumante que le Vésuve. Dans les passages navrants : la victoire surprise de la Corée du Sud sur le Nord, dont elle a fait assassiner le dirigeant avant de proclamer la réunification. S'ensuit une déclaration de guerre en règle du Japon au nouveau pays, alors que les Etats-Unis se retirent prudemment. Pensons aussi à l'apparition de loups-garous, vampires et démons, dont l'épicentre semble être la Roumanie. Phénomène pour le moins paranormal motivant une croisade papale menée par l'armée italo-suisse ( sic ). N'oublions pas pour la bonne bouche la France tirant sans vergogne sur ses anciens alliés, comme l'explique fièrement l'annonce de Paris is Burning :

"The Soviets have broken through the NATO line in West Germany, and the West German, British, and Americans are in full retreat. They approach the French border, hoping for aid, praying for sanctuary, but the AMX-30 tanks on the far side of the border fire, their shells ripping into the approaching NATO troops. Paris is Burning brings the French into the flaming battlefields of Europe. Zealots, patriots, and determined to defend their homeland, the French battle any army that crosses into France"

Le pire est que l'auteur croit vraiment à la crédibilité de son scénario, et pas seulement en ce qui concerne les aspects politiques. Petit extrait de la présentation de Revelation, roman du même auteur en ( pas très bon ) anglais :

"
The paranormal elements weave believably into the story. There are no armies of crazed werewolves, vampires who glisten in the sun before seducing lonely teenagers, or demons with forked tales. Just combat in a dark, desperate world on the edge of Armageddon"

Bref. Les fans d'Ed Wood et de Plan 9 from Outer Space doivent saliver. Pour éviter qu'on me taxe de mauvais volonté, je vous propose même une suite apte à faire vibrer les amateurs ( hélas, il y en a... ) :

"Aidées par la trahison française et l'implication sans réserve des pays catholiques dans la Sainte Croisade, les divisions rouges baignent enfin leurs pieds dans l'Atlantique. Rongée par un mal profond - les rumeurs parlent de l'attaque de druides noirs et de leurs créatures sylvestres - L'Angleterre ne répond plus. Voila l'Amérique seule, livrée à la merci des hordes communistes du monde entier, Soviétiques, Chinois, Cubains et autres. Alors que les enlèvements de citoyens par les extra-terrestres se multiplient, la bataille finale peut commencer"

Hé oui chers lecteurs, un raid de T-80 sur Dallas, c'est quand même plus cool que sur Eisenbach.

Conclusion : restons zen ?

L'un dans l'autre, qui irait se plaindre d'un système qui tourne, fait passer de sympathiques moments et permet d'enchaîner les parties là où des jeux sans doute plus raffinés resteraient sur nos étagères ? Je dirais que vous avez tout intérêt à éviter cette série si l'une des propositions suivants vous décrit :

- vous aimez les mécaniques de jeu innovantes et subtiles ( au hasard, Fire Team, Tank Leader... )

- vous aimez jouer dans un contexte politique et géographique crédible.

- l'esprit World at War entretenu par son auteur vous saoule.

 

Si rien de ceci ne vous affecte, profitez donc de World at War sans modération ou complexes. Au pire, si vous trouvez dommage de laisser à l'abandon tout ce beau matériel, rien ne vous empêche de créer une nouvelle chronologie et d'y inscrire vos propres histoires garanties dumb-free.

 

 

Informations techniques

Auteur : Mark H. Walker

Graphismes : Olivier Revenu

Editeur : Lock 'n Load Publishing

Disponibilité : toute la série est disponible chez l'éditeur, avec de nouvelles parutions régulières.

Liens

Compte rendu de Fenciq sur la série : http://fencig.over-blog.com/article-world-at-war-eisenbach-gap-presentation-56150597.html

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Commentaires
B
Très bonne critique et bien argumentée. Bravo.
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