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Santino Wars
19 août 2010

Pacific War ( VG )

L'opérationnel dans tous ses états

Pacific_War

Près de 25 ans après sa sortie, Pacific War reste une référence absolue pour nombre de passionnés de ce conflit atypique. L'illustre Mark Herman signe ici un produit rigoureux, novateur, mais aussi quelque peu intimidant pour le joueur persuadé de se retrouver face à un monstre injouable. Nous allons voir qu'il n'en est rien, la capacité du jeu  à s'adapter aux disponibilités de chacun n'étant pas la moindre de ses élégances.

Un arsenal intimidant

Deux cartes géantes, plus de 2000 pions et marqueurs, un livret de règle de 89 pages et des aides de jeu aussi nombreuses que bien remplies. Incontestablement, voilà une ouverture de boîte qui a de quoi impressionner le joueur moyen, même s'il va rapidement se rendre compte que seuls les scénarios stratégiques sollicitent l'ensemble de ce matériel. Bien que les normes graphiques aient fortement évolué depuis le milieu des années 80, l'ensemble est remarquablement clair et coloré, même les pions restant fonctionnels malgré le nombre impressionnant de données chiffrées qui leur sont affectées.

Le nombre et le détail des unités engagées sont de fait  liés au choix d'une échelle de simulation résolument fine. Les "capital ships" ( portes-avions et cuirassés ) sont représentés individuellement, les croiseurs étant appariés et les navires de moindre taille ( destroyers, transports, sous-marins... ) regroupés en escadrons de six navires. Les unités aériennes ne sont pas en reste, un pas de perte correspondant à une quinzaine d'avions de type variable. Sont ainsi distingués l'aviation embarquée, l'aviation terrestre ( monomoteurs, bimoteurs ou quadrimoteurs ), et les hydravions de reconnaissance si précieux dans la guerre aéronavale. Le type exact des appareils n'est pas pris en compte, sauf pour de rares pions intervenant en fin de guerre dans le cadre du jeu stratégique, nommément les escadrons de B-29 et de P-51. Nous verrons cependant que la qualité des appareils et des équipages n'est pas oubliée pour autant, pas plus que la possibilité pour le Japonais aux abois d'avoir recours aux redoutables vagues d'assaut des Kamikazes. Les unités terrestres sont plus disparates, leur taille allant du bataillon aux pléthoriques mais peu efficaces armées chinoises. Le pas de perte est fixé à 1000 hommes ( un bataillon en termes de jeu ), et si l'infanterie constitue le gros des effectifs, elle est soutenue par des troupes plus rares mais souvent décisives comme l'infanterie de marine, le génie, les forces spéciales, mais aussi quelques chars et aéroportés. Tout ce petit monde se déplace sur un vaste champ de bataille n'oubliant aucune des particularités géographiques du conflit : des montagnes chinoises aux jungles tropicales, en passant par les atolls tout juste capable d'accueillir un petit aérodrome ô combien stratégique, les dilemnes auxquels furent confrontés les états-majors de l'époque clignotent clairement sous nos yeux. L'échelle de réduction y est à la mesure de celle des unités, 100 miles par hex et une moyenne de deux jours par tour de combat. Le jeu stratégique utilise quant à lui un découpage en mois, bien qu'il ne soit pas forcément rigide dans la mesure où une opération en cours peut se poursuivre d'un mois à un autre.

Au delà de l'horizon

Du volumineux livre de règles, il ne faudra dans un premier temps absorber "que" 30 pages, encore que six d'entre-elles soient consacrées à un exemple de jeu aussi exhaustif que bienvenu. Ainsi armé, le joueur pourra aborder les premiers scénarios  appelés engagements, en fait de simples mises en pratique des concepts de base du jeu. L'attaque de Pearl Harbour ou le tir aux croiseurs de Savo Island permettent de s'assurer en quelques minutes de la bonne compréhension des règles de combat, avant de rejoindre un adversaire dans une bataille plus consistante. De la Mer de Corail au Golfe de Leyte, les batailles proposées abordent le coeur du système et certainement sa plus grande réussite : le concept d'opération.

De manière réaliste, une opération commence par une phase de contact de l'assaillant, dans laquelle il s'efforce de placer ses forces en position favorable pour saisir leurs objectifs, tout en sachant que le défenseur dispose de sa propre phase de contact pour tenter de le contrer. Cependant, les possibilités des deux camps ne sont pas symétriques, car toute opération entre dans l'une des trois catégories suivantes en fonction du niveau de renseignement de chacun : attaque surprise, interception et embuscade. Si une interception met les joueurs sur un pied d'égalité, une attaque surprise permet à l'assaillant de s'enfoncer en profondeur dans le dispositif de l'adversaire. Ce dernier est en effet tenu de détecter une unité ennemie pour interrompre la phase de contact de l'attaquant, alors qu'il est lui-même privé de tout mouvement en réaction. A l'inverse, une embuscade permet au défenseur de se déplacer du double des cases parcourues par les forces assaillantes, donc de prendre celles-ci à contre-pied. Est-il utile de précise que la bataille de Midway est catégorisée comme embuscade américaine, et que le système permet à merveille de reproduire la rupture du code opérationnel nippon et le désastre qui a suivi ?

Une fois le contact établi, le découpage temporel passe en cycles de bataille, d'une durée moyenne mais toute théorique de deux jours. En effet, intervient dans l'équation une donnée fondamentale de la guerre aéronavale : l'heure du jour ( trois cycles diurnes suivi d'un cycle nocturne ) et les conditions de visibilité qui s'ensuivent. Malheur aux navires de surface surpris en plein jour par un raid aérien ou aux portes-avions pris à partie de nuit par une force ennemie non repérée ! Comme dans la réalité, la victoire reviendra souvent à celui qui parvient à détecter le premier les porte-avions ennemis et à les envoyer par le fond. La mise en pratique n'est évidemment pas aussi simple, tout d'abord parce que la composition exacte des forces adverses n'est pas connue d'emblée. La carte n'affiche en effet que de simples marqueurs numérotés, renvoyant chacun à une aide de jeu sur laquelle sont disposées secrètement les unités qui la composent ( une Task Force navale compte ainsi jusqu'à dix unités ). De plus, un repérage réussi peut avoir des effets mitigés, obligeant au mieux l'adversaire à donner la composition exacte d'une force et au pire le nombre de pions qui la composent.. à 50% près. Surtout, il est essentiel de repérer une force navale avant de pouvoir l'attaquer de quelque manière que ce soit. Là encore, on en vient à éprouver l'angoisse des amiraux cherchant une cible dans l'immensité du Pacifique et espérant que la frappe aérienne massive envoyée à sa rencontre ne va tomber sur une paire de destroyers au lieu des "capital ships" escomptés.

Quelques mots sur la résolution des combats, simple et efficace. Le principe de base est d'obtenir sur un D10 un score inférieur ou égal à la valeur correspondante de l'unité qui tire. Une table unique donne ensuite le nombre de pas de pertes infligés en fonction du type de combat et de la marge de réussite du jet de dé. Les combats de surface se résolvent au canon ou à la torpille, les combats aéronavals voyant classiquement les vagues d'avions assaillants tenter de se frayer un chemin à travers la chasse et la DCA ennemie pour prendre à partie navires, structures au sol ou avions alignés sur les pistes. Seuls les combats terrestres adoptent des mécanismes un peu différents, à travers une table essentiellement basée sur le différentiel de qualité entre troupes engagées. Un joueur prudent aura pris soin de réduire préalablement la qualité des divisions ennemies par des bombardements aériens ou terrestres...essentiel pour éviter qu'un débarquement ne se termine en bain de sang ! Cette notion de qualité intervient par ailleurs lourdement dans la guerre aérienne, chaque catégorie d'appareils étant déclinée en trois série de pions selon la valeur des machines et de leurs équipages : L0 ( bleus ), L1 ( aguerris ), L2 ( élite ). Non seulement ces derniers affichent des potentiels de combat plus élevés, mais ils sont aussi bien plus efficace en combat aérien et dans la coordination de raids provenant de bases différentes. De quoi simuler aussi bien la redoutable efficacité des assaillants de Pearl Harbour que le tir aux pigeons des Mariannes trois ans plus tard.

Le plan de la victoire 

Si les batailles vous permettent de conduire une opération unique, les règles stratégiques de la deuxième partie vous proposent de diriger une campagne de plusieurs mois, voire la guerre entière. Les opérations s'enchaînent alors à un rythme ponctué par les ressources disponibles et l'évolution de l'initiative globale. Pas question ici de réduire les contingences stratégiques à la portion congrue : il va falloir planifier rigoureusement ses offensives, parfois plusieurs mois à l'avance tant les points d'opérations nécessaires à l'activation des unités semblent toujours trop rares. Ces points sont obtenus chaque mois selon un calendrier établi ( du moins dans le cas des campagnes ), chaque joueur proposant ensuite une enchère dont la plus élevée remporte la mise. Le camp concerné est alors obligé de lancer une opération dans laquelle il devra dépenser tous les points alloués à l'enchère gagnante. Nous entrons probablement ici dans la phase la plus minutieuse et la plus exigeante du jeu : les unités doivent être activées une à une via un QG, après avoir vérifié qu'elles sont bien intégrées dans une chaîne logistique, et ce pour une durée de deux, trois ou quatre semaines ( il est possible de prolonger une opération au-delà, mais le coût devient alors rapidement prohibitif ). Le défenseur peut ensuite activer ses propres forces à proportion de l'ampleur et du niveau de renseignement de l'opération en cours. Contrairement aux batailles où il est fixé par avance, ce niveau est non seulement déterminé par un jet de dé mais il n'est de surcroît connu que du défenseur. Idéal pour tendre un piège insoupçonné à un adversaire par trop confiant. L'opération elle-même se déroule ensuite conformément aux règles de la première partie, démontrant à quel point l'imbrication des deux niveaux a été parfaitement orchestrée par le concepteur du jeu.

D'autres règles viennent enrober les opérations pour donner au jeu stratégique toute la profondeur attendue: déplacements stratégiques, construction et démolition d'infrastructures par les unités du génie, réparation des navires endommagés, arrivée de renforts et de remplacements. Pour les joueurs désireux de se lancer dans le scénario ultime, à savoir l'ensemble de la guerre, entrent également en jeu le bombardement stratégique et la guerre sous-marine. Sachant que la quantité de points d'opération perçus par le joueur japonais dépend directement de l'état de sa flotte marchande et de celui de ses ressources ( industries nationales et matières premières de la Sphère de co-prospérité ), cette dimension du conflit requiert une attention soutenue de la part des deux joueurs. Toute aussi cruciale dans ce scénario est la nécessité de gérer l'entraînement de ses pilotes, sous peine de ne percevoir que des unités aérienne de faible qualité ( L0 ). Comme il faut 13 mois pour obtenir des remplacements de niveau moyen ( L1 ) et pas moins de 25 mois pour toucher ceux du niveau supérieur ( L2 ), on comprend facilement que le Japonais, pas plus que dans la réalité, ne parviendra à maintenir le niveau de ses pilotes. Son adversaire, dont les remplacements sont de plus en plus nombreux, pourra par contre remplir ses écoles d'entraînement et finir la guerre avec de nombreuses unités d'élite. D'autant que, dès le début de 1943, programmes avancés et avions de seconde génération lui assurent une réduction de 6 mois des délais suscités. Si l'on ajoute que la supériorité de la DCA et des radars américains est également prise en compte dans cette période, la maîtrise du ciel bascule fatalement à l'avantage du camp allié.

Des casquettes de toutes les tailles

Comme évoqué en introduction, l'un des atouts majeur de Pacific War est de permettre à chacun de trouver un scénario adapté à ses disponibilités en temps et en nombre de joueurs. Si les engagements ne sont guère que des entraînements rapides et solitaires, les batailles sont idéales pour occuper à deux une après-midi ou une soirée. Pour peu que l'on soit familier du système, il est ainsi possible de boucler en deux-trois heures un scénario comme celui de la Mer de Corail ou de Midway. Comptez cependant une rallonge non négligeable pour une bataille de l'ampleur de Leyte. Plus encore, le système s'adapte aisément au jeu en solitaire, Pacific War n'étant pas un jeu en double aveugle comme nombre de simulations opérationnelles sur le même thème. Globalement, les situations proposées sont riches en rebondissements et agréables à jouer pour les deux camps.

Il est par contre évident que les campagnes demandent un investissement autrement plus important de la part des joueurs,  en temps comme en espace. Prévoir ici de laisser la carte et les nombreuses aides de jeu qui l'entourent en place pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines si les séances de jeu ne sont pas continues. La campagne de Guadalcanal semble toute indiquée pour se faire une idée du jeu stratégique tout en restant dans des proportions modestes : outre qu'elle ne dure que six mois, elle mobilise une portion relativement congrue de la carte et un nombre d'unités tout à fait gérable. S'il en va de même pour les campagnes de conquête des Philippines et de la Malaisie ( 3 mois chacune ), elles ne procurent pas la même tension et le même intérêt pour les deux joueurs que la précédente. Dans tous les cas, le multi-joueurs est possible avec un peu d'organisation préalable. Par exemple, envisager une séparation des forces aéronavales japonaises de celles de l'armée n'a rien d'irréaliste au vu des tensions souvent soulignées entre ces deux armes.

Quant au conflit global, inutile de se voiler la face, nous sommes bel et bien dans le cadre d'un "monster game", dévoreur de surface et requérant des dizaines - qui a dit des centaines ? - d'heures de jeu pour être mené à son terme. Motivation de fer, litres de café, et signature d'un protocole de non abandon en cours de route exigés ! 

Où est passé le Richelieu ?

Oui, nos amis américains ont oublié notre fier cuirassé dans leur ordre de bataille... Au-delà de ce point anecdotique, le cours de la guerre ne s'en trouvant certes pas renversé, quelques défauts ou limites peuvent tout de même être soulevés. Ils se font essentiellement sentir dans le jeu stratégique, à partir des campagnes prenant quelque ampleur et faisant intervenir une forte composante terrestre. Le premier problème qui se pose est le rythme excessivement rapide des opérations terrestres : si le découpage temporel est parfaitement adapté à la guerre aéronavale, force est de reconnaître qu'il permet aux troupes terrestres d'accomplir de spectaculaires et peu réalistes progressions. Avec une séquence de mouvement et de combat renouvelée tous les deux jours, un joueur japonais compétent peut avec un peu de réussite nettoyer en un mois la Birmanie et les Philippines, Singapour et Manille comprises. De même, les îles seront-elles souvent sécurisées bien plus vite que lors des campagnes  historiques d'Iwo Jima ou d'Okinawa ( regrettons au passage l'impossibilité pour le Japonais de créer des réduits fortifiés en cours de partie ). Certains joueurs ont depuis contourné l'obstacle en introduisant des règles maison, spécifiant par exemple que la phase terrestre n'aura lieu que tous les 3 ou 4 cycles de bataille. Force est de constater que la correction fonctionne de manière satisfaisante dans la plupart des cas et rend à la guerre terrestre une place plus réaliste.

Un autre parti-pris du jeu pourra déranger certains joueurs, à savoir la simulation exclusive des opérations militaires. Inutile de chercher des règles politiques ou économiques dans Pacific War, elles n'existent pas. Tout juste le joueur japonais doit-il garnir la frontière sino-soviétique d'un nombre croissant de troupes, encore que rien n'empêche dans les règles d'en retirer les bonnes divisions pour les remplacer par des conscrits ( procédé irréaliste mais encouragé par le fait que, de toutes manières, l'intervention russe n'est pas simulée ). Les renforts et remplacements sont imposés par un calendrier précis, sans que le joueur ne puisse influer sur leur production. Un choix qui peut se révéler particulièrement frustrant pour le joueur japonais, qui pourrait souhaiter appuyer sur tel ou tel secteur économique pour adapter l'industrie à ses choix stratégiques. D'autres joueurs, dont je fais partie, remercieront le concepteur de ne pas avoir accru encore la complexité d'un jeu qui n'en manque pas.

Dans la partie globale, on regrettera enfin les conditions de victoires un peu faciles pour le camp américain. La victoire historique, consistant à mettre le Japon à portée de bombe H après avoir grevé ses ressources, relève d'avantage d'un match nul en termes de jeu. Demander au joueur américain d'envahir le Japon avant août 45 semble plus raisonnable si l'on veut laisser à son adversaire une porte de sortie ludique.

Conclusion

Au delà d'un graphisme suranné et de quelques défauts largement surmontables, Pacific War reste aujourd'hui encore l'une des perles de Mark Herman. Reposant sur un système taillé sur mesure pour la guerre du Pacifique, imbriquant de manière fluide différentes échelles de simulation, le jeu séduit par son intelligence et sa souplesse. N'obligeant pas les joueurs à livrer  l'ensemble de la guerre pour prendre tout son sel, il nous ramène régulièrement à sa grosse boîte rouge pour recréer qui la bataille de Santa Cruz, qui la campagne complète pour le contrôle des Salomons. D'une certaine manière, Pacific War a le goût de ces grands crus qui se bonifient avec l'âge et tranchent sans peine dans la médiocrité de tant de productions récentes. Exigeant certes, mais d'un goût incomparable. 

Informations techniques

Auteur : Mark Herman

Editeur : Victory Games ( 1985 )

Disponibilité : épuisé, marché d'occasion uniquement ( en attendant une réédition prévue chez MMP )

Liens

Compte rendu de campagne en images ( par Mussipont ) : http://bellerophon.lados.org/?p=369

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Commentaires
D
Ce jeu m'intéresse, mais les monsters et moi ne faisons pas bon ménage... Sinon, quelques images agrémenteraient votre analyse monsieur le Chat.
F
Bel article.<br /> Merci le chat... :)
S
Merci ^^<br /> <br /> Une V2 est prévue chez MMP selon les dires de l'auteur lui-même. Ce qui laisse augurer de la qualité du matériel ( et du prix sans doute ) de cette nouvelle édition.
F
Bonjour,<br /> <br /> superbe article !!!<br /> <br /> Est-ce qu'une réédition n'est pas prévue par l'auteur ?
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